Interviews

 
   

Lire l'interview de la revue WIFE, réalisée en septembre 1974

Lire l'interview réalisée par David Ndachi Tagne de RFI, réalisée en novembre 1996

 

   

Marie-Charlotte MBARGA KOUMA Auteur d’une pièce à succès « La FamilleAfricaine »

Madame, vous venez d’être lauréate du concours théâtral inter-africain 1973 organisé par l’ORTF

Oui, ma pièce avait été retenue parmi les vingt-cinq meilleures œuvres envoyées à l’ORTF dans le cadre du concours théâtral inter-africain 1973 et a été programmée dans la série « Première chance sur les ondes » des stations de radio africaines.

Etes-vous partie d’observations concrètes pour écrire votre pièce ?

En effet c’est en partant d’observations concrètes que j’ai écrit cette pièce. Les problèmes que j’évoque dans « La Famille Africaine » sont d’actualité.

Vous avez donné une certaine conclusion à votre pièce. Ne pouvait-on pas en imaginer une autre ?

On pouvait envisager la fin de ma pièce de mille autres manières. Mais j’ai voulu qu’elle se termine par l’arrestation et la condamnation du personnage principal pour faire réfléchir le public et tous ceux qui me liront un jour.

Parlez-nous de votre conception du théâtre africain

Pour ma part, le théâtre africain doit prendre sa source dans la vie courante. Le fait pour nous, écrivains d’évoquer les problèmes de la vie quotidienne souvent ignorés par les uns et minimisés par les autres, est d’une importance capitale. Chacun de nous, après avoir lu ou assisté à une représentation théâtrale, doit essayer de se faire un examen de conscience pour voir s’il ressemble de près ou de loin à l’un des personnages de la pièce.

Quel est l’auteur dramatique (africain ou étranger) que vous admirez ?

J’avoue que votre question m’embarrasse un peu. Il y a d’innombrables écrivains en Afrique et dans le monde. De ce fait, je les admire tous, car chacun a ses talents littéraires, son style et ses objectifs.

Dans quelle mesure avez-vous été inspirée par quelqu’un dans votre pièce ?

Aucun auteur dramatique ne m’a inspiré pour écrire cette pièce, je suis partie d’observations concrètes. J’ai écrit cette pièce en 1967 en Guinée Equatoriale, où mon époux était alors Consul Général.

Quel effet cela vous a fait lorsque vous avez appris que votre pièce avait été retenue ?

Beaucoup d’émotion. Mon cœur s’est mis à battre très fort et je suis allée m’allonger. Dans ma chambre j’ai retrouvé mon calme et j’ai gardé auprès de mon oreiller cette lettre de l’ORTF qui m’annonçait la bonne nouvelle. Je l’ai ainsi gardée jusqu’au lendemain en la relisant de temps en temps.

« La Famille Africaine » est-elle votre première pièce ou en avez-vous écrit d’autres ?

« La Famille Africaine » est ma troisième pièce. A présent j’ai une collection de cinq œuvres dramatiques. Le public de Yaoundé vient d’ailleurs de découvrir « Une fille dans la tourmente » qui fait partie des trois pièces que j’avais écrites en Guinée Equatoriale. En dehors de ces deux pièces, il y a « Le Charlatan » qui est une comédie en quatre actes, « Le Mariage de ma Cousine » et « L’enfant de l’autre » qui sont des drames en trois actes.

Quels sont vos projets d’avenir ?

Je suis auteure dramatique, directrice artistique et metteur en scène de ma troupe, « Les étoiles de la capitale » et tout ceci ne me suffit pas. J’ai beaucoup d’ambition en ce qui concerne le théâtre et j’aimerais avoir d’amples connaissances dans ce domaine. Comme projet imminent, je vous dirais que j’ai l’intention de faire éditer « La Famille Africaine » à la fin de cette année.

 

Marie-Charlotte Mbarga-Kouma, vous êtes dramaturge et avez été remarquée par votre pièce « La Famille Africaine », qui a remporté un prix au concours inter-africain de Radio France International, pièce parue plus tard aux éditions Sopécam sous le titre « Les Insatiables ». Marie-Charlotte Mbarga-Kouma, comment est-ce que vous êtes arrivée au théâtre ?

Comme ça ! A l’époque nous étions en Guinée Equatoriale, mon mari étant diplomate de carrière. Je m’ennuyais un peu à la maison parce que je ne travaillais pas à cette époque-là. L’idée m’est donc venue de faire du théâtre. C’est ainsi que j’ai écrit ma première pièce « La Famille Africaine ».

Et cette pièce, de quoi parle-t-elle ?

D’un couple nouvellement rentré de France et confronté aux réalités du pays. L’épouse qui ne s’adapte plus à tout se qui se passe autour d’elle, n’arrive pas à accepter la présence de cette famille chez elle. En revanche le mari essaie de tout faire pour prouver au siens qu’il est généreux et capable de tout leur offrir.

Avez-vous, vous-même vécu cette aventure ou s’agit-il simplement du fruit de votre imagination ?

J’ai vécu cette situation d’une certaine manière, mon mari est très généreux et ça m’inquiète parfois.

Alors que l’Afrique de la générosité d’hier se modifie, quel regard portez-vous sur les mutations de l’Afrique d’aujourd’hui ?

La conjoncture actuelle ne permet plus aux gens d’être aussi généreux qu’auparavant. Il faut désormais affronter la vie telle qu’elle se présente, avec tous ses problèmes.

Vous écrivez « La Famille Africaine » en Guinée Equatoriale et ne la publiez que bien plus tard. Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour faire publier cette pièce de théâtre ?

Au départ, j’écrivais pour le plaisir et pour meubler mon temps, car je m’ennuyais comme je vous l’ai dit. Mais à la fin, j’ai pris la chose au sérieux, peut-être quinze ans plus tard, quand nous sommes revenus au pays. Les gens m’ont fait comprendre que j’écrivais des choses très intéressantes et que je devais les mettre à la disposition du public. J’ai fait des spectacles pour ceux qui ne pouvaient pas me lire pour qu’ils puissent voir sur scène ce que j’écrivais. C’est après cette série de spectacles et surtout lorsque j’ai remporté le prix du concours théâtral de 1973, que j’ai pris conscience de l’intérêt de ce que je faisais. Il y a eu ensuite des gens qui m’ont proposé d’éditer cette pièce, mais j’ai été confrontée à des difficultés surtout parce qu’à l’époque, ce n’était pas facile pour une femme de faire ce que je faisais. Les flèches que je recevais surtout de la part des hommes, montraient qu’ils n’acceptaient pas une femme comme étant une femme de théâtre, et surtout côtoyant les hommes qui faisaient le théâtre à l’époque. Finalement, j’ai été stimulée par celui-là même qui m’interviewe aujourd’hui, lorsqu’il m’a proposé d’éditer cette pièce aux éditions Sopécam dont il était éditeur à l’époque. Et c’est ce que j’ai fait.

Et l’aventure avec les Editions Sopécam n’a pas été heureuse. Votre pièce a été publiée mais il y a eu de l’amertume ?

Oui, il y a de l’amertume car depuis que la pièce a été publiée en août 1989, je n’ai perçu que 50 000 francs cfa, comme droits d’auteur. Et ce en monnaie de singe de surcroît. J’avoue que ce n’est pas très motivant.

Mais dans le contexte de l’Afrique d’aujourd’hui, je ne sais pas si vous partagez cet avis, n’est-ce pas nécessaire pour un auteur de sentir d’abord qu’il a été publié et qu’il existe en tant qu’auteur avant de penser aux retombées ?

Bien sûr que ça fait plaisir. Ca me réchauffe le cœur qu’il y ait des gens qui ne me connaissent pas personnellement et qui viennent à ma rencontre parce qu’ils ont lu cette pièce. Oui, j’ai un plaisir que je ne pourrai pas vous décrire. Ce qui ne m’empêche pas de penser que mon éditeur m’a lésée.

Alors vous revenez au Cameroun où vous entrez dans la fonction publique. Vous y avez travaillé combien d’années et aujourd’hui que faites-vous ?

Mon mari étant diplomate de carrière, sa position ne me permettait pas de travailler. Compte tenu du rang qu’il occupait dans les ambassades, je devais rester à la maison afin de recevoir nos invités. Et c’est pour cette raison que j’ai commencé à travailler tard, quand nous sommes rentrés en au Cameroun dans un premier temps, avant de repartir à l’étranger. J’ai travaillé comme contrôleur adjoint du travail et il a fallu que j’arrête compte-tenue de ma catégorie dans la fonction publique.

Vous avez donc arrêté et vous êtes aujourd’hui à la retraite. Comment vivez-vous votre retraite ?

Je la vis intensément. Sitôt à la retraite, j’ai ouvert un petit resto, « La Maison des Artistes ». Je suis aussi occupée qu’à l’époque où j’allais au travail tous les jours.
Avec mon départ à la retraite, il n’y a pas eu vraiment de changement pour moi. Et ce d’autant plus que j’ai également une vie spirituelle très dense due à une grace qui m’est tombée du ciel en janvier 1992.
Un soir alors que je priais, j’ai senti tout d’un coup une présence en moi. J’ai senti cette présence dans mon corps, comme si quelqu’un ouvrait la porte de ma maison et s’y installait. C’est ainsi que je l’ai ressenti. Et j’avoue que cela m’a secoué pendant près d’une semaine, j’en étais malade. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, mon entourage non plus. Trois semaines après, j’ai eu une série de visions. Certaines m’ont marqué jusqu’à présent.

Et vous en avez parlé à votre entourage ?

Oui, j’en ai parlé autour de moi. A mon mari, à tous mes enfants et mes comédiens.

Revenons à votre carrière d’écrivain. Vous avez écrit une pièce dont on parle beaucoup aujourd’hui, « Monsieur Homme-Serpent ». Et vous avez signé cette pièce du nom de Geneviève Ekomba. Pourquoi passez-vous d’un nom à un autre et de quoi parlez-vous dans « Monsieur Homme-Serpent » ?

S’agissant du changement de nom, c’est un coup de tête d’artiste. Parce que l’envie de changement c’est aussi ce qui caractérise un artiste. Même si ça vient tard, pourvu que ça se fasse. Je me suis dit que Geneviève Ekomba pouvait être mon nom de plume parce qu’Ekomba est composé de mon nom de jeune fille et de mon nom d’épouse. Et Geneviève fait partie de mes autres prénoms. S’agissant de la pièce « Monsieur Homme-Serpent », c’est l’histoire d’un monsieur installé dans un quartier résidentiel, un homme d’affaires très très influent, qui aurait séquestré deux jeunes étudiantes et qui aurait avalé l’une après avoir abusé d’elle.

Il s’agit d’un fait divers connu ou d’une pièce qui sort de votre imagination ?

Hum… Je ne dirais pas que ça sort de mon imagination, parce que des rumeurs ont circulé dans la ville il y a deux ans, au sujet d’une histoire similaire. Ce monsieur a peut-être existé dans l’imagination des gens qui ont fait circuler ces rumeurs.

Et vous prenez position par rapport à cette histoire, ou pas ?

Non… Je n’aime pas beaucoup prendre position lorsque j’écris une pièce, je laisse toujours la chose à l’appréciation des lecteurs. Personnellement, je ne peux pas vous affirmer que ce monsieur existe ou qu’il n’existe pas. J’ai cherché à savoir, mais je n’y suis pas arrivée. En fin de compte, je ne sais pas exactement ce qui s’est passé.

Certains analystes trouvent que votre pièce, « Monsieur Homme-Serpent » est une métaphore servant de campagne de prévention du SIDA. Qu’en dites-vous ?

Tout est possible, en effet à la fin de la pièce j’évoque ce problème. Et si ça peut faire comprendre aux jeunes filles qui se jettent dans les bras des personnes capables de les tuer, il faut bien que la campagne anti-sida passe aussi par là.

Marie-Charlotte Mbarga, vous n’avez pas écrit que « Les Insatiables » et « Monsieur Homme-Serpent » vous avez une pile de pièces dans vos tiroirs et êtes assez angoissée de ne pas publier. Qu’avez-vous dans vos tiroirs et qu’avez-vous en chantier ?

J’ai neuf pièces de théâtre qui attendent d’être publiées, parmi lesquelles « Un Enfant » qui relate l’histoire d’un couple qui désire en avoir, « Le Charlatan », « Les Aventures de Passa », « Consternations »… Et ça me fait mal de savoir que toutes ces pièces restent enfermées dans mes tiroirs. Il va falloir que je me réveille, c’est tout ce que je peux vous dire.

Pour terminer, Marie-Charlotte Mbarga, vous êtes épouse, mère et femme de théâtre, vous avez une vie spirituelle dense et un resto, sans parler de la grande famille africaine. Arrivez-vous à gérer tout cela de façon harmonieuse ?

J’essaie d’y parvenir. S’agissant de ma famille, elle s’est agrandie entre-temps. Je suis grand-mère de quatre petits-enfants que j’adore.

Merci Marie-Charlotte Mbarga-Kouma

Interview réalisée par David Ndachi Tagne